Dead Drops : quand le partage de données se matérialise dans l'espace urbain
En découvrant un reportage de Tracks consacré aux Dead Drops, j'ai retrouvé l'esprit qui animait le mouvement du Free Wireless au début des années 2000 : cette même volonté de réappropriation technologique et de décentralisation.
Les Dead Drops proposent une approche radicale du partage de données : des clés USB intégrées dans l'espace public, formant un réseau de partage entièrement hors ligne.
Le concept est élégant dans sa simplicité : chaque clé USB devient une boîte aux lettres numérique accessible à tous, sans connexion Internet requise. Pour ceux qui s'intéressent à cette thématique, je recommande également la lecture de mon article sur les réseaux Wi-Fi communautaires.
Genèse du projet : de l'art contemporain au réseau communautaire
Les premiers Dead Drops apparaissent en 2010 à New York, créés par l'artiste allemand Aram Bartholl. Le projet se présente comme une critique poétique du cloud computing : "dé-cloudifier" nos fichiers en les ancrant physiquement dans le ciment urbain.
Le site officiel définit Dead Drops comme un réseau anonyme, offline et peer-to-peer dans l'espace public, une définition qui traduit bien l'ambition du projet : créer une infrastructure de partage qui échappe aux paradigmes numériques dominants.
Fonctionnement et philosophie
Principe d'utilisation
L'accès à un Dead Drop suit un protocole simple :
- Localisation via la base de données communautaire
- Connexion directe (ordinateur portable ou smartphone via adaptateur)
- Consultation et dépôt de fichiers (généralement accompagnés d'un fichier readme.txt expliquant le projet)
Une "sneakernet" réinventée
Les Dead Drops actualisent le concept de sneakernet (transfert physique de données) en y ajoutant plusieurs dimensions :
- Artistique : installation urbaine et performance
- Politique : critique de la centralisation et du modèle cloud
- Sociale : création de micro-communautés locales
- Pratique : partage de documents, thèses, poésie, lettres ... etc.
Bien que Wikipedia souligne que l'usage reste davantage social et artistique qu'utilitaire au quotidien, le projet ouvre des perspectives intéressantes sur nos modes de partage de l'information.
Cartographie et état du réseau
La base de données communautaire centralise l'ensemble des Dead Drops référencés à travers le monde : https://deaddrops.com/db/

Au moment de la rédaction, le réseau compte plus de 2 300 Dead Drops pour une capacité de stockage cumulée dépassant 75 To. En France, environ une centaine d'installations sont recensées, avec des formats variés allant de simples clés USB à des projets plus élaborés de type PirateBox (combinant Wi-Fi local et stockage).
Limites techniques et organisationnelles
Contraintes matérielles
Le principal défi reste la capacité de stockage limitée et l'absence de redondance : la destruction ou la défaillance d'une clé entraîne la perte irrémédiable des données.
Question de la confiance
La véritable problématique concerne la confiance : un dispositif USB accessible publiquement représente l'antithèse d'un environnement sécurisé et maîtrisé.
Recommandations en matière de cybersécurité
Connecter une clé USB inconnue à son ordinateur principal constitue un risque majeur. Voici les bonnes pratiques essentielles :
- Utiliser un équipement dédié : privilégier une machine secondaire ou obsolète plutôt que son ordinateur professionnel
- Adopter un système Live : Linux sur clé USB permet d'isoler l'environnement et de limiter la persistance
- Désactiver l'exécution automatique et s'abstenir d'ouvrir directement des exécutables ou documents à macros
- Appliquer le principe de précaution : récupérer les fichiers, les analyser hors ligne (antivirus, sandbox), puis seulement les consulter
- Considérer les risques matériels : un port USB peut constituer une surface d'attaque (périphérique malveillant, court-circuit)
Les réseaux Wi-Fi offrent généralement un niveau de sécurité supérieur pour le partage de données.
Pourquoi ce regain d'intérêt en 2025 ?
Le concept Dead Drops, né en 2010, résonne particulièrement en 2025 pour plusieurs raisons convergentes :
- Saturation et lassitude vis-à-vis du cloud centralisé
- Dépendance croissante aux grandes plateformes
- Préoccupations accrues concernant la surveillance
- Recherche de réseaux locaux alternatifs
- Aspiration à davantage de matérialité dans nos pratiques numériques
Ces installations posent une question fondamentale : comment organiser le partage et la collaboration lorsqu'Internet n'est plus l'option par défaut ? Dans un contexte de fragilisation potentielle des infrastructures réseau, les Dead Drops pourraient servir de solution d'échange citoyenne en cas de panne massive.
Parmi les alternatives émergentes, on peut citer Bitchat, une solution de messagerie peer-to-peer utilisant le Bluetooth des smartphones, lancée par Jack Dorsey, ancien PDG de Twitter.
Ressources complémentaires
- Page officielle du projet (Aram Bartholl) : arambartholl.com
- Site Dead Drops et base de données : deaddrops.com
- Contexte général : USB dead drop sur Wikipedia
